Un médecin généraliste de Nantes prescrivait, depuis 2020, hors pathologie avérée, de la prégabaline, la » drogue du pauvre « . Les dégâts sont délétères. Associée à la prise d’alcool, elle a un effet décuplé par la potentialisation. Elle désinhibe et est responsable de passage à l’acte. Le médecin a interdiction d’exercer, précise dans un communiqué, ce jour, mardi 19 novembre 2024, le procureur de Nantes.
La prégabaline (Lyrica® et ses équivalents génériques) fait partie, comme la gabapentine (Neurontin®), de la famille des gabapentinoïdes. Il s’agit d’un médicament utilisé dans le traitement des douleurs neuropathiques, de l’épilepsie et des troubles anxieux généralisés. Il est aussi parfois prescrit hors-indication pour le traitement de douleurs lombaires chroniques ou des douleurs radiculaires.s.
L’usage détourné de la prégabaline constitue un enjeu majeur non seulement de santé publique (complications cliniques aiguës graves dont des décès, dépendance) mais également d’ordre public à Nantes. En effet, un certain nombre d’individus, bien souvent en situation irrégulière sur le territoire national, s’adonne à cette consommation. Plusieurs d’entre eux, interpellés à la suite d’agressions commises en particulier dans le centre-ville de Nantes, expliquent avoir agi sous l’effet de cette substance, qui les désinhiberait. Il a ainsi été possible de recenser à Nantes, entre janvier 2020 et aout 2023, pas moins de 94 procédures pénales contenant des auditions portant sur du trafic de prégabaline ou des agressions commises sous l’effet de cette substance.
Une escroquerie à la prégabaline
Le parquet de Nantes, précise : En fin d’année 2023, plusieurs pharmaciens nantais ont fait part à l’autorité judiciaire de leurs doutes quant à la régularité d’ordonnances prescrivant de la prégabaline, émanant d’un même médecin installé à Nantes. Ils le suspectaient de délivrer des prescriptions de complaisance.
C’est dans ces conditions que le parquet de Nantes a ouvert une enquête, confiée à l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (OCLAESP) des chefs d’aide au mésusage de substances médicamenteuses, prescriptions non conformes, escroquerie et complicité d’escroquerie au préjudice de la CPAM.
Un rapport de cet organisme a permis d’établir que ce médecin aurait délivré de manière indue, entre le 17 juillet 2020 et le 12 janvier 2024, 541 prescriptions de prégabaline à 106 patients n’ayant aucune raison médicale de se voir délivrer cette substance.
106 patients n’avaient aucune raison médicale
Le 16 juillet 2024, une perquisition a été effectuée au cabinet de ce médecin. Parmi les 106 patients ayant obtenu une prescription, seuls huit avaient un dossier médical. Placé en garde à vue le même jour, ce médecin a reconnu la prescription de prégabaline ne présentant pas de caractère médical. Plusieurs patients ont confirmé que ce médecin prescrivait à la demande et sans réelle consultation médicale.
Repris en garde à vue le 14 novembre 2024, ce médecin âgé de 61 ans, sans antécédents judiciaires, a été déféré au parquet le même jour. Il s’est vu remettre par le parquet une convocation à l’audience qui se tiendra le 6 mai 2025, lors de laquelle il devra répondre des faits suivants, commis entre 2020 et 2024 :
• Complicité d’escroquerie commise au préjudice d’une personne publique ou d’un organisme chargé d’une mission de service public, en l’espèce la CPAM, pour l’obtention d’une allocation, d’une prestation d’un paiement ou d’un avantage indu,
• Complicité d’obtention au moyen d’ordonnances fictives ou de complaisance de substances classées comme psychotropes,
• Aide au mésusage ou à l’abus de médicaments, plante, substance ou préparation classée comme vénéneuse,
• Mise en danger par la violation manifestement délibérée d’une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement en l’espèce en prescrivant de manière indue à 106 personnes des médicaments contenant de la prégabaline sans aucune raison médicale justifiant ces prescriptions.
Interdiction d’exercer la médecine
Dans l’attente de son procès, l’intéressé a été présenté à un juge des libertés et de la détention, lequel l’a placé sous contrôle judiciaire comportant en particulier :
– l’interdiction d’exercer la profession de médecin
– l’obligation de verser une caution de 50 000 euros (outre une somme de 13000 euros saisie au cours de l’enquête).
Cette affaire illustre l’engagement du parquet de Nantes et des services d’enquête contre la consommation et le trafic de substances nuisibles dans la ville de Nantes, qui accompagnent trop régulièrement la commission de faits troublant gravement l’ordre public local, tels que des agressions physiques dans le centre-ville de Nantes.
souligne Renaud Gaudeul, procureur de la République