Châteaubriant

« We are coming » à Émeraude Cinémas Châteaubriant

La chronique d'une révolution féministe, réalisée par Nina Faure, un film proposé lors Des Orientations Féministes Festival. C'est jeudi 9 novembre 2023, à Émeraude Cinémas.

« We are coming » à Émeraude Cinémas Châteaubriant, jeudi 9 novembre à 20 h 15. Cette projection est proposée à l’occasion du DOFF, Des Orientations Féministes Festival, jusqu’à la fin novembre sur le Pays de Châteaubriant.

Pour en finir, une fois pour toutes avec le paternalisme

Une nouvelle génération politise les enjeux autour du corps, de la sexualité et des rapports de genre. Pour deux amies, Nina Faure et Yéléna Perret, cela commence par une prise de conscience.

Avec quelques autres, elles se demandent pourquoi, dans une société qui prétend que l’égalité des sexes est déjà là, l’accès au plaisir est si difficile.

Elles organisent des groupes de parole, découvrent Notre corps, nous-mêmes, un manuel féministe historique qui leur ouvre de nouvelles portes d’analyse. Elles vont à la rencontre d’enseignantes, éducatrices, sociologues pour tracer pas à pas ce qui finira par être un vrai plan d’attaque. De plus en plus impliquées dans les luttes qui se soulèvent partout, au cœur de ce mouvement féministe qui déferle, elles découvrent un plaisir jusqu’ici insoupçonné, celui de poursuivre une émancipation collective.

Le plaisir d’abolir le patriarcat, tout simplement.

Sur près d’une décennie, Nina Faure et Yéléna Perret ont vécu de l’intérieur la montée du mouvement féministe. Le documentaire, filmé à travers le prisme de leur amitié, chronique cette aventure intime et politique.

Entretien mené par la journaliste Mathilde Blézat*.

Mathilde Blézat : Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire ce film ?

Nina Faure : Au tout départ, c’est la découverte d’une vidéo en ligne sur l’anatomie du clitoris, en 2013. Elle montrait que notre plaisir venait de là et que cette histoire de femme vaginale, c’était un mythe. Ça a été une illumination ! Je me suis mise à en parler à qui voulait l’entendre. Non seulement personne de mon entourage n’était au courant, mais ça déclenchait des discussions avec mes amies, où on remettait en question ce qui se passait dans nos vies sexuelles. À chaque fois je me disais « il faut absolument filmer ça, que d’autres gens entendent ce qu’on dit, là ».

Yéléna Perret : Il y avait un énorme décalage entre ce qui était représenté, dans les films par exemple, et ce qu’on vivait. D’un côté on avait ces représentations souvent très romantisées de la sexualité avec l’idée que quand on s’aime, tout se déroule naturellement, on se passe de mots, on se laisse aller et on a du plaisir… De l’autre côté, il y avait des documentaires sur l’orgasme très cliniques, ou encore des recettes dans les magazines pour « atteindre l’orgasme ».

Et nous, en discutant, on se rendait bien compte que ce n’était pas si simple. Que quand on parlait de sexualité, il y avait aussi beaucoup de choses moins roses qui allaient avec. Il manquait cette parole qu’on n’entendait nulle part. Et puis on a trouvé des archives du cinéma féministe des années 1970. Je suis tombée des nues en voyant à quel point les prises de positions de certaines militantes étaient actuelles : elles avaient déjà discuté de ces mêmes problèmes et réfléchi à tout ça. Et pourtant, elles ont été complètement invisibilisées. C’est pour cela qu’il était important de donner à voir des récits qui partent de nous et de nos vécus.

Dans le film il y a de nombreux groupes de parole. C’est un outil féministe essentiel qui reste encore assez méconnu. Comment filme-t-on un groupe de parole, sachant que la mixité choisie et la confidentialité sont essentielles ?

N : Nous avons fait un gros travail de préparation en amont. Durant la phase de repérage, les groupes de parole n’étaient pas filmés ou servaient uniquement pour le processus d’écriture du film. Au début, à l’idée d’être filmées, certaines participantes demandaient si les visages seraient floutés, ou les voix transformées. Nous voulions arriver à faire un film où l’on parle sans se cacher, où on affirme notre point de vue !

Petit à petit, nous avons bâti la confiance, d’abord dans nos cercles proches, en participant nous-mêmes à la discussion, en nous exposant dans le film et en expliquant l’enjeu d’assumer publiquement nos histoires pour qu’elles sortent du silence et que d’autres puissent s’y reconnaître. Pour ne pas avoir à tout reprendre à zéro à chaque génération.

Vous aussi, vous participez à ces groupes de parole…

Comment ça s’est passé, pour vous et pour les autres participant·es, d’être à l’image ?

Y : J’ai mis un peu de temps à m’habituer à l’idée. Mais l’attention portée les unes aux autres pendant le tournage y a beaucoup participé ! L’équipe était très délicate. Quand l’ingénieure du son mettait le micro, ça ressemblait toujours à un petit moment de soin. C’est ce genre d’interactions qui mettent en confiance, qui jouent sur l’état émotionnel avec lequel on aborde le tournage.

N : c’est un cinéma direct qui ne peut se faire qu’avec du temps. On prend soin, étape par étape, de vérifier que les personnes sont en accord avec ce qu’on fait, on est attentives aux gens et aux relations. Nous n’avions pas beaucoup de moyens pour faire ce film, ça a été difficile de le financer.

Mais grâce aux liens de confiance qu’on a tissés entre nous, sur des années, tout le monde a été très généreux et c’est grâce à cela qu’on a pu y arriver.

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Qu’est-ce que cela apporte de filmer des groupes de parole, par rapport à des entretiens individuels ?

N : Quand des personnes qui partagent un même vécu se réunissent, il y a des prises de conscience accélérées qui se font et c’est un moteur de transformation. On a filmé plein de personnes, de différentes origines géographiques et sociales, de différentes orientations sexuelles, identités de genre, entendantes ou Sourdes, vivant en centre-ville, dans des quartiers populaires … Elles ne se connaissaient pas forcément, mais il y avait toujours cette ambiance particulière, des regards empathiques, des rires. Nous avons utilisé plusieurs micros et deux caméras : une qui suit la parole, l’autre qui filme les visages, pour capter cinématographiquement les réactions. C’est un enjeu féministe de filmer de cette façon, ça permet de rendre compte de la force du collectif.

Dans le sillage de #MeToo, le film aborde la question des violences sexistes et sexuelles. Quel a été l’impact de ce mouvement sur la narration, le tournage ?

Y : Nous avions déjà entamé une réflexion autour des rapports de domination dans la sexualité. Mais là, on s’est extraites du sujet initial, qui était le plaisir, pour passer à une réflexion plus globale sur l’impact du patriarcat dans les différentes sphères de nos vies.

D’un coup, nous nous sommes retrouvées à filmer des manifestations… On sentait qu’on ne pouvait plus se contenter de parler uniquement de plaisir et de sexualité et qu’il se jouait là quelque chose de plus vaste, que tout ça était traversé par ce qu’on vivait en dehors, des violences qu’on avait pu subir, du rapport qu’on avait construit à notre corps dans une société qui dévalorise  le corps des femmes et des minorités de genre, du travail domestique qui prend souvent beaucoup de place… Il fallait trouver un moyen de faire le lien avec tout ça même si ce n’était pas simple. Mais on sentait qu’on ne pouvait pas traiter l’un sans l’autre.

N : À chaque nouveau tournage je te racontais ce qui se passait, et toi tu me posais des nouvelles questions. Et je me disais qu’il fallait que j’essaie d’y répondre ! Alors je repartais sur le terrain. On a eu l’idée petit à petit de filmer ces discussions entre nous. C’était une façon de montrer cette amitié, importante dans nos vies, où nous progressons ensemble, et dont il y a peu de représentations cinématographiques.

Une des forces du film, c’est aussi de s’écarter peu à peu des questions de départ pour plonger dans une lutte qui prend de l’ampleur. Il y a une sorte de montée en puissance. Ce qui m’a marquée. C’est que vous montrez que la lutte féministe en mixité choisie est une source de plaisir et de joie…

Y : En 2010, nous vivions avec des copines à Toulouse. C’est là que nous nous sommes rencontrées avec Nina. On a fait nos premières marches de nuit non-mixtes, on était impliquées dans les mouvements étudiants et féministes et on rigolait toujours beaucoup. C’est là je pense qu’on a compris l’importance de la lutte mais aussi du plaisir d’y participer.

N : Trouver du plaisir dans la lutte féministe, ça déjoue un récit dominant où l’on n’a jamais la possibilité d’être heureux·ses ensemble ; au quotidien, nous sommes isolé·es, ou divisé·es dans des foyers, beaucoup de nous croulent sous le travail (salarié et domestique). Alors c’est un vrai bonheur d’arriver à se réunir, c’est une première façon de partir à la recherche de notre autonomie.

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Vous vous attaquez également au fait qu’en vivant avec les hommes cisgenres, les femmes sont contraintes au travail gratuit. En quoi les réflexions et les témoignages queer et lesbiens ont-ils influencé votre travail ?

Y : Presque à 90%, je dirais ! L’apport théorique des lesbiennes, des bi et des queer est énorme. La Pensée straight de Wittig, dans lequel elle démontre que l’hétérosexualité est le pilier de l’appropriation des femmes par les hommes, a été une claque féministe pour moi. Dans nos groupes de parole, j’ai été frappée du décalage entre ceux où il y avait une majorité de femmes hétéros cisgenres et ceux avec une majorité de lesbiennes, de bi. Avec celles-ci, plein d’autres choses s’ouvraient : même si on a parlé de lesbophobie, de violences… ça a été les premiers groupes de paroles dans lesquels on a vraiment parlé de plaisir.

Il y avait aussi plus de joie, de rires. Tout ce monde de relations entre femmes, pas seulement sexuelles ou amoureuses mais aussi affectives, sororales, extraites du regard masculin, de même que les relations queer, ce sont des représentations positives dont on manque beaucoup.

Quelle est la fonction de We are coming dans le « plan » assumé d’abolition du patriarcat : provoquer la grève générale ?

N : Ce film, c’est une chorale de personnes, situées à plein d’endroits de la société, qui sont en train de bâtir quelque chose. Ça a commencé petit à petit, et ça n’a fait que prendre de l’ampleur. Avec Yéléna, on était un peu comme Minus et Cortex, les souris de dessin animé qui sont dans leur cage à monter chaque soir un nouveau plan. On a fini par établir notre programme secret. Si tout se passe comme prévu, on assistera très bientôt à une grève générale féministe qui paralysera le système et nous permettra d’éviter la catastrophe climatique.

Y : Sérieusement, la grève générale féministe qui ferait chuter le Cac 40 et bloquerait l’économie capitaliste, j’y crois beaucoup ! Une grève du soin, du travail domestique, comme l’ont fait les Islandaises en 1975. C’est un outil qui pourrait faire ses preuves. La force du film, c’est d’ouvrir la palette des possibilités. On verra ce qui inspire le plus les spectateur·ices !

« We are coming » à Émeraude Cinémas Châteaubriant

Jeudi 9 novembre 2023, à 20 h 15, à Émeraude Cinémas Châteaubriant.

Visuels : C-P Productions.

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