Une décennie de passion, une cinquantaine de conférences et une biographie épuisée puis rééditée. Amaury Cornut n’a pas ménagé ses efforts pour perpétuer la parole musicale de Louis Thomas Hardin plus connu comme Moondog. Il va encore plus loin en fondant un sextuor entièrement voué à la mise en valeur des parties les moins connues du répertoire du compositeur américain. Les nombreux LP, EP, 7’’, 10’’, CD, K7, que Moondog a enregistrés de son vivant ne sont pas loin de ne représenter que la partie immergée d’un corpus de compositions qui reste encore à défricher. Son disciple Stefan Lakatos et son groupe Spirit of Moondog y ont contribué. De même que la pianiste Dominique Ponty, et c’est désormais l’Ensemble Minisym (en référence aux « symphonies miniatures » dont Moondog qualifiait ses courtes suites musicales), formé par Amaury Cornut en 2013, qui s’y colle.
Quatre ans de collectages ont été nécessaires…
…pour fournir à l’Ensemble Minisym un répertoire qu’il n’a cessé de rôder sur plusieurs scènes, dont celle des Nuits de Fourvière en 2016. Cet album, disponible en formats LP et CD, représente son premier enregistrement.
Son titre, New Sound, n’est pas tant à comprendre comme une tentative de donner un son « moderne ». Il n’aura échappé à aucun fan de Moondog que New Sound fait du reste écho à l’album New Sound of an Old Instrument, paru en 1979. Dans cet opus, Moondog faisait jouer ses morceaux sur un orgue d’église, qu’il considérait alors comme le « roi des instruments ». Puisque capable de remplacer un orchestre de jazz de par ses qualités « percussives ». En usant de notes en staccato et de lignes contrapuntiques soutenues. Et l’on sait combien le contrepoint et les rythmes tribaux répétitifs sont au cœur de la musique de Moondog…
New Sound of an Old Instrument faisait la jonction entre la période américaine et la période européenne de Moondog. Tout en reprenant des pièces datant de ses débuts, quand il jouait dans les rues de New York, et présentant de nouveaux morceaux écrits en Allemagne. Cela souligne sans doute plus qu’auparavant sa prédilection pour une certaine musique classique européenne.
Moondog au Théâtre de Verre, musicien inclassable
Si Moondog a été révélé et révéré par nombre de compositeurs contemporains, voire de musiques « modernes », ce n’est pas tant parce que sa musique incarnait en elle-même. Il a engendré une musique somme toute assez novatrice puisqu’en empruntant autant au baroque, à la musique modale. Autant à la Renaissance qu’aux rythmes ethniques amérindiens. De fait, New Sound of an Old Instrument disait bien ce qu’il voulait dire. Faire du neuf avec du vieux. Et le son de l’orgue d’église s’y déploie en des voies sûrement impénétrables pour les ouailles du seigneur…
En intitulant son album New Sound, l’Ensemble Minisym s’inscrit dans une perspective similaire. Plus qu’un clin d’œil, ce titre s’affiche comme une revisite de ce disque de Moondog. Au point même que la mention du titre sur la pochette reprend la même police de caractères que le LP original.
Seule différence (mais elle est de taille) : il n’y a pas d’orgue d’église chez Minisym.
Le sextuor fait montre d’une lutherie qui, outre sa singularité, est particulièrement idoine à restituer les climats de l’univers de Moondog. Théorbe, guitare, violon, violoncelle, viola, vièle à roue, percussions et harmonium. L’instrument-fétiche de Moondog, le trimba (inventé par lui-même), n’y figure pas, mais on y trouve tout de même son homologue, la « dent de dragon », que l’on entend notamment au début de l’album Moondog and his Friends.
C’est avec cette panoplie d’instruments à cordes et de percussions que Minisym s’approprie ces pièces jouées à l’époque à l’orgue. En effet, certaines nous étaient déjà connues avec des instrumentations différentes dans d’autres disques de Moondog (Oasis, Single Foot). En proposant ses propres couleurs et ses propres arrangements, Minisym suit on ne peut plus rigoureusement la tradition « Moondoguienne ». Et ce faisant trouve, sinon des voies, au moins des interstices, des brèches à travers lesquelles il peut explorer ses propres libertés. Sans jamais trahir les contours et la substance de l’œuvre de Moondog.
On ne trouvera ici aucun épanchement pour l’improvisation…
Ni de développements solistes tendance jazzy. Juste un scrupuleux et délicat travail de valorisation de la pureté des lignes mélodiques. La simplicité apparente cache une sophistication mitonnée aux petits oignons. L’Ensemble Minisym fait ressortir les effluves. Au prix d’une complexe mise en place qui évite cependant toute emphase et boursouflure. Tout ici semble marcher avec des chaussons de danse, sur des mélodies en boucles lunaires et sur des rythmes serpentins. Sans pesanteur aucune, chavirant entre fugues mélancoliques, canons folâtres et farandoles bourdonnantes…
Mais New Sound ne se contente pas d’être un « tribute » à New Sound of an Old Instrument. On n’y retrouve pas toutes les compositions qui y figuraient. En revanche, il présente des pièces inédites de Moondog composées à la même époque. Des morceaux imprégnés de cette musique européenne vers laquelle il se tournera alors de façon définitive. Aux Barn Dance, Elf Dance et Log in B du disque originel, s’ajoutent donc six compositions jamais jouées ni enregistrées par Moondog. Log in E, Logrundr in A, Schneeflocken, Fleur de Lys, Ground in D Minor et la mythique Marche funèbre pour Vercingétorix.
Oubliez le sempiternel cliché du SDF excentrique de la 6e avenue new-yorkaise
affublé de son casque à cornes de viking et bricolant ses instruments avec les moyens du bord. C’est un autre Moondog que dévoile le New Sound de l’Ensemble Minisym mais pas moins générateur d’une musique qui mêle les époques et les cultures dans un élan d’intemporalité cosmique. Voilà un « nouveau son » chargé de souvenirs et d’impressions qui ne sont pas près de s’effacer…
Stéphane Fougère
Moondog au Théâtre de Verre, Châteaubriant, par l’ensemble Minisym Samedi 27 avril 2019, 20h30 Tarif C