Le 4 Aout 1944, les Américains libèrent Châteaubriant. Nous avons choisi de diffuser le récit d’Arsène Brémont qui a vécu ses moments tragiques et à la foi plein d’espoir après quatre années d’occupation.
Arsène Brémont raconte la Libération (Journal de Châteaubriant du 30 septembre 1944) « 4 août 1944, à 4h45, un cri dans la Cité de Carfort endormie : « Ils sont là, ils sont là ». Deux minutes plus tard je descends en courant du côté de la Torche et passe devant la Mairie, clamant ma joie aux personnes qui, entendant le bruit de ma course, mettent prudemment le nez aux fenêtres. En arrivant près de l’épicerie St Jean [à la Porte Saint Jean], je ralentis : deux autos sont là, de chaque côté de la rue. Je suis surpris mais dois l’être plus encore en reconnaissant dans les occupants des soldats allemands.
Que font-ils là ? Ils sont silencieux : au moment où je passe entre les deux voitures, l’un d’eux descend et m’interpelle dans son jargon barbare. Je comprends et remonte en hâte la rue de Couëré m’attendant, à chaque pas, à recevoir une balle dans le dos. Mais non, les Boches ont l’air de ne pas vouloir signaler leur présence. Je ne comprends plus ! Je viens à peine de franchir la Porte Neuve que j’aperçois dans la pénombre, car il fait nuit encore, une double colonne de lourds véhicules qui stationnent de la Rue de la Barre à l’Hôtel du Commerce [actuelle Maison de la Mutualité]. Un cordon de curieux s’est formé d’un bout à l’autre.
Le 4 Aout 1944 : les Américains libèrent Châteaubriant
Tout est silencieux, je m’approche ému : je viens de voir, sur les voitures tanks et chenillettes, l’étoile américaine, l’astre de la Libération qui a commencé de briller dans cette nuit sombre qu’elle éclaire de joie et d’espérance. A ce moment, un cri devant le café Laguilliez [actuel Bar L’équipe, place de la Motte] : « Un Boche, un Boche ! ». En effet, un Allemand en uniforme a osé se mêler à la foule qui s’écarte rapidement de lui : la mitraillette crépite, le Boche roule à terre devant chez Legault [actuel Crédit Agricole]. Il râle en se tordant et pourtant il survivra à ses graves blessures. Les Allemands qui se trouvaient dans les deux voitures près de l’épicerie St Jean, viennent de mettre en batterie, près de chez M. Dauffy, place de la Motte, un canon de 77 ; un obus passe en sifflant au-dessus de ma tête et va s’éclater heureusement, ricocher sur le mur de la charcuterie Dumazeau [actuelle charcuterie Les deux Chefs, rue de la Barre] pour aller ensuite traverser le mur et la cloison intérieure de la maison du coiffeur d’en face. Cela prend une tournure à laquelle je ne m’attendais pas. Je descends vers l’Hôtel du Commerce quand un second obus, manquant de peu le premier tank près duquel je me trouve, agrandit de moitié la fenêtre de la boulangerie Poussin [actuelle boulangerie 29 rue Pasteur]. Décidément il vaut mieux abandonner la place de la Motte.
J’approche de l’Hôtel du Commerce où je vois une auto-mitrailleuse en batterie. Que se passe-t-il encore ? La mitrailleuse entre en action, un Boche qui passe devant le café Leray [actuel restaurant Le Vieux Castel] roule à terre pour ne plus se relever. Je m’aplatis le long du mur, un jeune maquisard qui sortait de l’Hôtel du Commerce et s’est trouvé dans la ligne de tir, tombe à son tour mortellement frappé. Deux personnes qui m’accompagnent, tentent de se réfugier à l’Hôtel du Commerce [Au 1, rue de la Vannerie]. Elles se trouvent nez à nez avec huit Boches qui sortent mitraillettes en mains. Interloquées, elles lèvent les mains, tandis que, les bousculant, les Allemands sautent dans une auto et tentent de fuir par la Rue de la Victoire. Mais la mitrailleuse rentre à nouveau en action et balaie la rue, crevant les pneus de l’auto et obligeant les occupants à se rendre.
Deux Boches ont pu se réfugier dans la Cour de l’Hôtel du Commerce. Ils se cachent derrière une auto et s’apprêtent à faire le coup de feu. Deux minutes plus tard l’un des deux est tué, l’autre prisonnier. Je rencontre à ce moment M. Max Gerngross, interprète américain qui, habitant Paris, a eu particulièrement maille à partir avec les Allemands auxquels il a voué une haine justifiée. Je le prie d’indiquer aux Américains que des Allemands sont cachés dans la maison Couchot, où se tenait la feldgendarmerie. Deux voitures sont aussitôt mises en batterie et cinq soldats américains, mitraillettes au poing, entrent sans hésiter dans la maison où l’ennemi se tient silencieux et peut être sur la défensive. Nous attendons anxieux les coups de feu par les ouvertures de l’immeuble. Il n’en est rien.
« Oui, je l’avoue, j’ai pleuré ce jour-là comme un enfant »
Au bout de quelques minutes, six Allemands, les bras en l’air, sortent suivis des Américains. La foule crie sa joie (…) Le convoi se met en marche. Le jour se lève, une auto blindée débouche rue de la Victoire, mais le canon qui était au bout de la place de la Motte a été traîné à bras par les Boches et mis en batterie à l’angle des rues de la Barre et de la Victoire [actuelle rue Max Veper] près du magasin Cavé [au feux de circulation] . Un obus, tiré sur l’auto blindée, décapite un soldat américain dont les débris sanglants s’écrasent sur le mur de la maison qui touche l’école et dont la fenêtre est à son tour agrandie par l’obus qui n’a pas éclaté. Un second obus met le feu au réservoir d’essence et le conducteur de cette monstrueuse torche, dans les flammes de laquelle brûlent vifs quatre soldats, dirige courageusement son lourd véhicule sur le canon qu’il bouscule [et dont il fausse une roue] tandis que les soldats boches prennent la fuite. L’auto ne s’arrêtera que rue Alsace Lorraine [en face de la maison marquée « Villa Maria »] où resteront seulement des cadavres calcinés au milieu d’un amas de ferraille rougie et tordue.
Le conducteur blessé à la cuisse peut cependant se sauver dans un véhicule américain qui passe presqu’aussitôt, mais ceci seulement après être remonté dans son auto en feu pour braquer vers le ciel la mitrailleuse restée en position de tir. Je rencontre alors, en tenue de brigadier chef de notre police, le sympathique Jean Bouchet. Je lui frappe sur l’épaule et l’invite à me suivre à la Mairie pour hisser les Trois couleurs que les Allemands, quatre ans plus haut, l’obligeaient, revolver au poing, à descendre lui-même du dôme de cet établissement public. Ce souvenir mouille la paupière du brave agent qui me dit : « oui, je l’avoue, j’ai pleuré ce jour-là comme un enfant ». « Eh bien mon cher, lui dis-je, ce sera de joie que vous pleurerez ce matin » et suivis de M. Gerngross et d’une secrétaire de mairie, qui tiennent à participer à cet acte, nous grimpons lestement jusqu’aux fenêtres du premier étage de l’Hôtel de Ville où montent alors, lentement, les Trois Couleurs que dorent les premiers rayons du soleil levant.
Je redoute cependant un coup des Boches et surveille attentivement la place tout en aidant à la mise en place des drapeaux. Je ne me suis pas trompé ; un coup de feu, est tiré sur nous, mais le tireur est maladroit. Nous nous regardons émus, sans dire un mot, tandis que quelques larmes, que l’on ne songe même pas à essuyer, coulent lentement de nos yeux où brille cependant une joie non dissimulée. Quand, quelques instants plus tard, je remonte à la Cité de Carfort, j’entends une série de violentes détonations accompagnée d’un épais nuage de fumée noire du côté de la gare. Ce sont deux camions de munitions allemands qui ont été touchés par de petits obus tirés d’un tank américain et qui sautent, au passage à niveau des Terrasses, mettant à mal la maisonnette du garde barrière et les maisons voisines.
Quatre canons allemands, braqués sur la ville…
…et échelonnés route de Laval non loin du passage à niveau, doivent être abandonnés avec leurs munitions. Ils grossiront le butin de guerre. J’arrive à la Cité de Carfort où l’on me montre un canon placé à l’entrée du Chemin de Deil, près duquel dix soldats allemands sont installés. Ces derniers passent près de nous, obligeant les gens à faire demi tour ou à rentrer chez eux. Ils se sont installés là, ainsi que ceux qui veillent à Bout de Pavé en Béré, avec un autre canon, croyant que les Américains arriveraient par la route de Rennes. 10h30, un camion vient chercher les dix Allemands qui abandonnent canon et munitions sur place. Les Boches tirent à la carabine et à la mitraillette sur M. Gerngross qui se repose dans un jardin voisin ainsi que sur plusieurs personnes. Les balles passent près, sans faire aucun mal. Le camion qui emporte quatorze Allemands n’ira pas loin.
Les monstres qui tirent sur des civils désarmés, seront quelques minutes plus tard, brûlés vifs dans leur camion que les Américains ont touché d’un obus tiré avec un canon placé dans le champ qui borde le passage à niveau de la Ville en Bois. Ce sera le dernier événement de la journée mais, le lendemain, quelques voitures américaines qui patrouillent en ville, encerclent la Feldgendarmerie. J’ai la satisfaction de voir sortir, les bras en l’air, un officier allemand suivi d’une vingtaine de soldats que je connaissais pour la plupart, et parmi lesquels je reconnais l’un d’eux qui se vantait un jour devant moi, d’avoir tué de sa propre main au moins 200 français. C’est dire l’état d’esprit dans lequel je me trouve tandis que ce groupe de prisonniers réintègre cette feldgendarmerie, terreur depuis quatre ans de notre petite cité et où flotteront désormais les couleurs françaises.
Arsène Brémont (Extrait du Journal de Châteaubriant du 30 septembre 1944)