Santé

Ancenis, Châteaubriant ou Laval : les urgences sont mal en point

Les fermetures totales ou partielles de services d'urgences se multiplient en Pays de la Loire. La région compte 26 services d'urgences et une douzaine était fermée la nuit, l'été dernier.

Un tiers de médecins manquent à l’appel pour un fonctionnement optimum des urgences. L’engorgement des services d’urgence, c’est toute l’année, quelque soit la saison. Les délais d’attente s’allongent. Les postes ne sont pas remplacés. La semaine passée une surcharge d’activité « sans précédent » déplorait le directeur du centre hospitalier Châteaubriant-Nozay-Pouancé (CH CNP). C’est partout, sur les cinq départements des Pays de la Loire que la situation des urgences est tendue.

En Mayenne, nous avons rencontré Caroline Brémaud, qui officie au centre hospitalier de Laval, préfecture du département. En décembre 2023, elle fut évincée de son poste de Cheffe des urgences. Elle osait dire tout haut ce que tous, professionnels, patients, élus pensent tout bas : la dégardation des services de santé n’est pas une fatalité.

Ancenis, Châteaubriant ou Laval : les urgences sont mal en point

Moi j’adore mon métier, même si je râle sur tous les dysfonctionnements. On touche à ce qu’il y a de plus intime, on est dans une relation avec le patient et sa famille qui ne peut être que sincère puisqu’on est dans le moment de l’urgence. On ne fait plus semblant en fait. Et c’est beau et donc, des fois,  on accompagne les gens pour finir leur vie, des fois on leur sauve la vie, et puis des fois on les fait naître. Des fois on fait des accouchements à domicile.

On nait à l’hôpital et on meurt à l’hôpital. Donc on a un devoir d’accompagner les gens dans la dignité dans le respect et je pense qu’on touche à l’indigne en ce moment.

J’ai emménagé à Laval en novembre 2010 et j’étais enceinte de mon premier enfant. Je suis venue pour être interne en fait, pour faire mon premier semestre de médecine générale. C’était mon choix au moment où j’ai passé l’examen national classant. C’était pas mon choix quand je suis rentrée en médecine mais ça l’est devenu au bout d’un certain nombre d’années d’études. Je voulais faire la médecine générale en milieu plutôt rural. Et puis après la vie a fait que j’ai pris d’autres décisions.

J’ai toujours connu les urgences en grève

Depuis que je suis urgentiste, depuis 2019, moi j’ai toujours connu les urgences en grève. Donc, moi, j’ai commencé à travailler aux urgences en tant que médecin généraliste en 2016. J’ai repris mes études en 2017 jusqu’en 2019 où j’ai passé la capacité de médecine d’urgence et j’ai été diplômée en juin 2019. Et en 2019 les urgentistes étaient déjà en grève par rapport à leur conditions de travail, leur temps de travail, leur rémunération, beaucoup de choses en fait, beaucoup de demandes. Et donc, moi j’ai commencé à travailler dans cette profession dans des conditions qui étaient déjà en fait difficiles.

Et puis les choses se sont aggravées. On a eu une période finalement où pendant le Covid, on a réussi à travailler dans des conditions qui étaient pas trop complexes, parce qu’on n’a pas eu dans notre département,(Mayenne_NDLR) une grosse charge virale. Donc, on a réussi, en s’organisant, à adapter les moyens aux besoins. Et puis l’après covid, par contre a été catastrophique au niveau national et à Laval. On n’a pas fait exception.

Actuellement c’est une profession qui est sinistrée, je crois que c’est le mot qu’on peut employer

ll y a beaucoup de jeunes qui arrêtent l’exercice de la médecine d’urgence parce qu’ils sont dégoûtés des conditions de travail et de comment on traite nos patients, parce qu’on n’a pas d’autres moyens. Ils sont écœurés et fatigués.

Donc, ils arrêtent et c’est comme ça un petit peu partout en France. Dans notre région Pays de la Loire, c’est assez marqué. Mais pour côtoyer des gens de toute la France, on retrouve les mêmes difficultés pour des raisons que j’ai du mal à comprendre. L’État est censé nous aider, mais depuis quelques années les décisions qui sont prises, elles nous enfoncent.

Ancenis, Châteaubriant ou Laval : les urgences sont mal en point

On a demandé à ce que la médecine d’urgence devienne une spécialité. Donc on a modifié les études de médecine d’urgence et on a rallongé les études de médecine d’urgence. Ce qui fait qu’en 2022, on n’a pas sorti de nouveaux urgentistes et pour ces mêmes raisons. Il va se passer la même chose en médecine générale. Dans deux ans, il n’y aura aucun médecin généraliste nouveau qui va sortir d’école parce que les études vont se rallonger aussi d’un an et pour moi ça, c’est, comment, des réajustements qui sont extrêmement délétères dans une situation actuelle.

On peine à trouver des urgentistes, des médecins généralistes. C’est le cas d’autres spécialités, mais en tout cas chez nous, c’est vraiment très prégnant et on nous rallonge les études et on nous fait des années blanches, comme ça. Je ne comprends pas trop l’idée en fait. Ils ont réformé l’examen national classant. Ils ont réformé les études de médecine et donc maintenant l’examen national classant si je ne me trompe pas, on le présente au bout de la 5ᵉ année. Il y a la promo là qui subit la réforme et cette promo qui subit la réforme, c’est auto nommée la promo crash test.

Et donc comme ils ne sont pas satisfaits des conditions de stage, leur temps de travail pour réviser enfin de plein de choses, ils ont été nombreux à décider de redoubler. Mais nous, on le savait à l’avance, pour les côtoyer régulièrement dans les services, ils nous avaient dit non mais moi, je sais déjà plusieurs mois l’avance que je vais redoubler. On avait estimé qu’ils seraient à peu près 900 ou 1000 à choisir de redoubler et finalement, ils sont 1500.

Donc quand le ministre dit  » on n’a pas diminué le nombre d’internes, on a juste le nombre de places aux candidats. » C’est vrai, mais en fait, ça fait des mois que nous, on sait que le nombre de candidats va être plus bas parce que la réforme ne leur plaît pas…

…Et puis, après, je pense qu’il y a une volonté cachée et non assumée d’anéantir le système de santé français et qu’eux les ministres n’ont pas toujours la main sur ce qui_ce n’est pas du complotisme que je fais_ c’est je pense qu’il y a une volonté non assumée de détruire le système de santé actuel pour pouvoir mettre en place un système qui de près ou de loin ressemblera à un système plus américain.

Et donc là, on fait éclater le système pour pouvoir reconstruire quelque chose derrière. Qu’est-ce qu’il a dit notre Président  » C’est difficile de reconstruire quelque chose tant que tout n’est pas anéanti  » voilà donc il a dit ça, il y a quelques mois…

C’est Bercy qui fixe les budgets

Si on ne met pas les moyens pour la santé, on va avoir du mal à faire des choses parce qu’on a besoin de reconstruire certains hôpitaux. A Laval par exemple, c’est hyper vétuste. Jean Castex nous a promis 80 millions d’euros pour reconstruire un bâtiment urgence réa. Il en faudrait au moins le double pour reconstruire l’hôpital en entier. Il y a pas une pelleteuse qui est arrivée pour commencer les travaux, ça devait être fini en 2024- 2025 quand la Haute Autorité de Santé, l’HAS est venue faire la visite de certification, ils ont regardé nos locaux, ils nous ont dit,  » il s’est passé quoi chez vous ? Vous avez été oublié ? On vous a rayés de la carte ? Pourquoi vos bâtiments sont aussi vétustes ? »

Ce n’est pas possible de travailler dans des conditions comme ça, ça ne nous a pas empêchés d’être certifiés B parce que les équipes sont formidables et qu’on s’investit énormément par amour pour notre métier et nos patients. Mais n’empêche que d’avoir des locaux vétustes, des conditions de travail qui sont difficiles,  et pour nous et pour les patients, c’est pas favorable à l’attractivité des différents métiers de la santé et à la valorisation de travailler à l’hôpital public.

Cheffe de service, c’est driver une équipe, monter les projets, être attentif au retour des patients sur les prises en charge à appliquer au mieux les recommandations en termes de qualité de soins, respect de l’accueil des patients, et puis c’est mettre en place des protocoles pour améliorer le travail avec les différents services de l’hôpital. Les urgences, on est à un carrefour en fait dans l’hôpital, on est un peu la porte d’entrée dans l’hôpital, donc on est en contact avec beaucoup de services. C’est faire des protocoles pour simplifier les parcours patients et puis manager une équipe.

On trouve qui aux urgences ?

Tout, c’est-à-dire qu’on trouve toutes catégories sociales ça, c’est important de le dire. On trouve beaucoup de personnes âgées avec des polypathologies. On trouve des enfants, des adultes, des personnes en situation de handicap. On trouve des patients avec des pathologies psychiatriques parce qu’ils passent par les urgences avant d’être réorientés sur un hôpital psychiatrique ou vers une prise en charge ambulatoire.

On voit des petits bobos, type des plaies. On voit des bobos un peu plus gros type fractures. Et puis on voit aussi des patients en détresse vitale où là, chaque minute compte pour la prise en charge.

La perspective de mourir est angoissante. Le fait d’être séparé de ses proches quand on est pris en charge, c’est angoissant. Et puis, d’être au milieu de toute cette activité aussi ça peut l’être. On peut avoir des gens qui sont violents donc ça peut être stressant. Et puis on attend beaucoup aux urgences. Parce qu’on attend pour avoir les résultats de la prise de sang, on attend pour avoir des fois un scanner donc l’attente est angoissante.

Des locaux plus que vétustes à l’hôpital de Laval en Mayenne © Anne Chanrond.

On a besoin d’avoir des professionnels qui sont capables de prendre en charge cette composante anxieuse des patients pour les rassurer, les accompagner et faire en sorte que leur passage aux urgences soit le plus doux possible si c’est possible.

C’est dû à une politique de réduction du nombre de lits dans les hôpitaux. On a supprimé les lits sous prétexte de valoriser une pratique qui était l’ambulatoire. Sauf qu’on n’a pas non plus mis les moyens pour faire de l’ambulatoire dans des bonnes conditions. Pour développer l’ambulatoire dans les prises en charge des patients que ce soit en chirurgie ou en cancérologie, il faut avoir un maillage exceptionnel en ville avec des aides à domicile qui soient performantes. Ce n’est pas le cas chez nous.

On a aussi une population qui est vieillissante donc l’ambulatoire ne s’adapte pas forcément à ce type de population. Et au lieu de convertir les lits qu’on a réussi à gagner en faisant de l’ambulatoire, en ligne d’hospitalisation polyvalente pour les personnes avec des pathologies multiples ou des personnes âgées on n’a rien fait. On a juste supprimé les lits donc moins de lits… donc… CQFD.

On a une diminution de l’espérance de vie en bonne santé

Ancenis, Châteaubriant ou Laval : les urgences sont mal en point
Le centre hospitalier de Laval -© Anne Chanrond.

C’est-à-dire quand les gens viennent, et lorsqu’ils ont une problématique qui nécessite une hospitalisation, il n’y a pas de lit, ils restent alors aux urgences. Il y a eu aussi en même temps la problématique de la médecine de ville avec le nombre de médecins généralistes et spécialistes. Le nombre a diminué donc finalement les délais pour avoir un accès aux soins en ville sont plus longs. Donc au lieu de voir un médecin dans les 2-3 jours, on va peut-être mettre 10 jours et un problème qui aurait pu être pris en charge précocement et se gérer avec, je ne sais pas moi des antibiotiques à la maison, va se retrouver à être beaucoup plus complexe, parce qu’au bout de 10 jours ça se sera aggravé. Les gens vont venir aux urgences et vont nécessiter une hospitalisation.

C’est plein de choses comme ça en fait, on le voit sur les indicateurs. On a une diminution de l’espérance de vie en bonne santé. Donc on voit bien qu’on prend moins bien en charge, mais il y a beaucoup de choses qui ont été détruites avec la volonté de faire des économies et puis il y a eu aussi je pense une responsabilité. On n’en parle pas souvent, mais je pense qu’il y a une responsabilité aussi de certains médecins qui ont eu peur de manquer en fait. De manquer de patients, de manquer d’argent et qu’on fait un peu pression pour limiter l’offre.

Il existe la télémédecine ?

Alors, je ne suis pas sûre que ce soit une réelle amélioration la téléconsultation. Je n’y suis pas complètement défavorable parce, que, quand vous partez en vacances et que vous oubliez votre boîte de médicament pour la thyroïde, il n’y a pas besoin d’aller prendre une place chez un médecin généraliste pour avoir une ordonnance pour avoir la délivrance du médicament.

Donc la téléconsultation peut permettre de dépanner sur des situations comme ça. Mais le meilleur médicament ça reste l’humain, donc derrière un écran je pense qu’il y a beaucoup de choses qui ne passent pas. Il y a beaucoup de situations qui ne peuvent pas être gérées sur une téléconsultation.

Moi j’ai une amie qui a travaillé dans une agence de téléconsultation. Elle était médecin-cheffe des autres médecins et son rôle, c’était de vérifier qu’ils faisaient bien leur travail. Et donc elle virait ceux qui faisaient des consultations en moins d’une minute…Voilà. En général, c’est trois minutes. Je ne suis pas sûre que la relation médecin/patient, passe en trois minutes. Tous nos sens sont importants quand on fait de la médecine et puis le contact humain aussi.

Sur le grillage du centre hospitalier de Laval, une banderole de revendications du SAMU 53 © Anne Chanrond.

Donc oui la télémédecine pourquoi pas ? Nous, on utilise la téléconsultation par exemple avec le CHU d’Angers pour les spécialités qu’on n’a pas. C’est-à-dire que pour les prises en charge AVC, on prend en charge le patient, on diagnostique l’AVC, on l’envoie dans les minutes qui suivent à l’IRM qui confirme l’AVC précoce et pour mettre en place le produit qui sert à dissoudre le caillot de sang il faut avoir l’avis d’un neurologue. Donc on fait une visio avec le patient, l’urgentiste et le médecin neurologue du CHU. On rediscute ensemble, on voit le patient. Eux, ils envoient la prescription du médicament et nous délivrons le médicament. Le patient est transféré au CHU, ça c’est de la vision performante. C’est-à-dire qu’on permet à un territoire moins bien doté en spécialistes, de quand même réaliser une prise en charge spécialisée et ça c’est une avancée, je suis d’accord.

Comment on arrive à la médecine ?

Alors…Moi, je voulais être vétérinaire quand j’étais petite. J’adorais les animaux, le truc, cliché au possible,  » j’adore les animaux ».

Aujourd’hui, je suis pompier, mais quand j’étais petite je ne voulais pas être pompière, ni policière j’étais vraiment axée animaux et j’avais dit à mes parents « si je n’arrive pas », parce que tout le monde disait ou, « mais tu sais c’est très dur comme études, et bien je ferai toiletteur pour chiens.

Puis est arrivé le bac. J’ai présenté mon dossier pour être prise en classe préparatoire aux grandes écoles. J’ai été reçue, j’ai passé mon concours et puis je me suis retrouvée première recalée. Et ça m’a arrangée plutôt bien, parce que dans cet intervalle-là, j’ai fait une rencontre qui m’a fait me dire que finalement, je voulais être médecin.

J’ai rencontré un enfant. J’étais chez des amis et puis des gens arrivent avec un petit enfant et moi je me mets au niveau de l’enfant, je me mets accroupie et puis j’écarte mes bras pour lui dire bonjour. L’enfant se jette dans mes bras pour me faire un câlin et là, je sens que tous les adultes me regardent. Il y a une pression sur moi, je me dis qu’est-ce qui s’est passé ? J’ai dû faire quelque chose de mal puis  je me relève et la maman me dit  » il est autiste, il touche personne d’habitude ». Là je me suis dit : c’est ça que je veux faire, m’occuper des personnes en situation de handicap. En fait je voulais être pédopsychiatre et m’occuper des enfants autistes. C’est ça qui m’a fait rentrer en médecine. En moi j’ai toujours eu cette volonté d’aider les autres, d’être attentifve aux autres mes parents me surnommaient Mère Teresa quand j’étais petite parce que je donnais tout ce que j’avais, mes crayons mes vêtements, tout.

Ancenis, Châteaubriant ou Laval : les urgences sont mal en point
Le centre hospitalier de Laval © Anne Chanrond.

Ce n’est pas forcément qu’une question de temps. Parfois, en peu de temps, on arrive à créer un lien avec des mots, avec des gestes aussi… Quand vous êtes sincère dans la relation, la relation, elle se crée vite et puis il n’y a pas besoin de mettre beaucoup de mots. Et des fois c’est juste un regard c’est d’avoir de la bienveillance, de l’attention et dans le regard de celui qui nous soigne et bien en tant que patient ça peut être suffisant et ça, ça ne demande pas de temps, ça demande juste d’avoir beaucoup d’humanité en soi et de la partager. 

Moi je l’ai vécu en tant que maman quand mon fils a eu son accident en fait j’ai mon fils a été secoué par sa nourrice quand il était petit, il avait 6 mois. C’était mon 5e jour de reprise de travail donc j’étais interne en médecine générale et euh voilà, il a eu cet accident il a été pris en charge par le SMUR de Laval. Il a été amené au déchoquage et moi,  je suis arrivée en tant que maman, même si on m’a reconnue en me disant  » bah, on te connaît !

 » Oui, j’étais interne ici. Je ne suis jamais passée aux urgences, mais je passais des fois voir des patients. Donc le personnel m’a identifié comme étant euh quelqu’un de bah de l’hôpital en fait, mais je connaissais très peu de monde et donc  j’arrive pour retrouver mon fils et il était intubé ventilé. Le pronostic vital a été engagé pendant 3 jours. On était dans l’incertitude totale qu’il vivrait et quand je quand je suis arrivée j’ai vu une femme qui était bienveillante avec lui qui s’occupait de lui et qui me regardait et elle m’a dit avec toute sa douceur qui la caractérise ,  » vous pouvez le toucher si vous voulez » . Parce qu’en fait il était tellement déshumanisé avec tous ces fils qui sortaient partout de lui que j’osais même pas toucher mon propre enfant. Elle m’a juste dit ça et ça m’a fait énormément de bien et après pendant le reste de la prise en charge de temps en temps, elle me regardait ou elle me souriait et puis elle était présente et chaleureuse et pour elle c’était son premier jour d’infirmière anesthésiste. Premier jour, première intervention. Elle s’est retrouvée à prendre en charge un bébé de six mois. Elle a été marquée aussi par cette intervention.

Un an et demi après, je suis interne en stage en gynéco. Je suis enceinte et elle se présente aussi enceinte et je ne la reconnais pas parce qu’elle a beaucoup grossi,  je lui dis bonjour et elle me reconnaît. Son visage s’assombrit et puis je me dis « mince on se connaît, » elle doit pas m’aimer. Elle fait une drôle de tête. En fait, quand je l’installe, je lui dis « mais on se connaît » puis elle me dit « oui je suis infirmière anesthésiste ». Et là, je la reconnais. Je lui dis « je vais partir pleurer » et puis elle me dit « oui je vais pleurer aussi  » .

Beaucoup d’émotions de se retrouver, on parle et puis au bout de quelques minutes, elle me dit :  » je suis désolée  » . Je lui demande pourquoi. Elle me répond que le jour où elle a pris en charge Apolinaire, elle n’a pas su trouver les mots. Je l’ai regardée et je lui ai dit  » ce jour-là tu as été formidable, tu as été mon pilier ma boussole, mon phare dans la nuit.

Ce matin je me suis réveillée avec un message dans mon téléphone, celui d’une dame qui me dit « il y a un an, vous avez pris en charge l’enfant de nos amis, qui est décédé. Elle m’a dit  » merci d’avoir eu autant de douceur et d’humanité dans votre prise en charge, merci d’avoir pris le temps de nous parler, merci d’avoir été là « . Elle m’a dit  » j’ai mis un an, » c’était le 7 septembre, elle m’a dit  » j’ai mis presque un an à avoir le courage de reprendre contact avec vous « . Via les réseaux sociaux, elle m’a retrouvée. Je me suis réveillée avec ça comme message. C’est le plus beau cadeau qu’on puisse espérer, d’avoir des petits mots comme ça qui nous arrivent. C’est de l’amour gratuit.

Moi je suis médecin H 24. Mes enfants m’ont déjà vue partir de la maison en courant, en pyjama pour aller faire un massage cardiaque 50 m plus loin sur la place du marché, parce sur mon téléphone j’ai une appli de citoyen sauveteur, et que quand elle sonne je pars. Ils savent que maman, elle est médecin H 24. Même quand elle ne travaille pas…Et ils en sont très fiers… Je ne voulais pas être médecin sans être capable de porter secours.

On a encore des gens, dont beaucoup de médecins qui ne sont pas capables de porter secours. Il faut démocratiser le soin et la relation médecin-patient. Moi je suis proche de mes patients, ce n’est peut-être pas bien, mais je ne sais pas faire autrement. C’est pour ça aussi que je suis urgentiste et pas médecin généraliste. C’est aussi parce que comme j’ai du mal à mettre de la distance, la juste distance avec mes patients, j’ai plus de chance de pas les revoir en étant urgentiste qu’en étant médecin généraliste. Et ne pas me faire envahir dans ma vie privée. Parce que je donne tellement tout, que des fois, la limite… J’ai déjà pris des patients ou des mamans de patients dans mes bras.

Les gens sont précaires. Il y a une précarité sociale et émotionnelle, elle aussi. C’est-à-dire que les gens sont isolés. Et donc tout ce lien qu’on avait entre les générations qui compensaient les déficiences du système n’existe plus non plus. On ne garde plus les personnes âgées à domicile, cela nécessite de l’aide extérieure. La précarité c’est quelque chose qui est profond, qui est sournois, qui est dangereux pour les gens. On a parfois du mal à la voir en fait. Et quand il y a un système qui est défaillant, ce sont les personnes les plus vulnérables qui en subissent les conséquences en premier. Et donc, ce sont les enfants, les personnes âgées, les gens en situation de handicap, les gens qui ont des pathologies psychiatriques et les gens qui sont précaires socialement.

On voit bien que ces personnes subissent actuellement de plein fouet la défaillance du système de santé. Ce sont des indicateurs de vigilance et je vais vous raconter une histoire, moi, qui m’a émue au plus haut point, qui m’a révoltée. On a fait, il y a 2 ans je crois une réunion avec l’ARS pour étudier, faire un focus sur le nombre de passages aux urgences avec la typologie des patients. Ils nous passent des diapositives. On nous dit que le nombre de passages aux urgences augmente pour des motifs psychiatriques, notamment chez les enfants. On a une augmentation du nombre de passages à l’acte encore plus chez les 11-13 ans. Ok, je le constate dans ma pratique donc les chiffres ne me surprennent pas. Ils ne font que conforter ce que j’avais expérimenté sur le terrain. Je lève la main je dis   » et donc ? » Ils m’ont dit « Non rien !Oon constate »

On fait pas un plan ? On ne débloque pas des fonds pour ?

On fait des courbes.  Je dis  » mais on va laisser mourir nos enfants par suicide, on le sait et on ne fait rien « .

C’est vrai que moi on me dit souvent que je ne ressemble pas à un médecin. Mais ça doit ressembler à quoi en fait un docteur ? On s’en fiche en fait et quand je prends en charge des enfants pour de la traumatologie, j’ai aucun problème à m’asseoir par terre et puis à sortir mon stylo licorne, avoir un serre-tête avec des oreilles de cerf,  faire des bulles pour regarder l’enfant qui a un traumatisme du bras, finalement attraper la bulle comme ça.

Ancenis, Châteaubriant ou Laval : les urgences sont mal en point
À Châteaubriant, en Loire-Atlantique, les urgences du centre hospitalier ne vont pas bien.

Si les vocations existent toujours, mais on les use. Moi j’ai un collègue aide-soignant, c’est un rayon de soleil dans le service là hier je l’ai vu  » tiens, viens je vais te faire un calin parce que ça va pas du tout » il m’a dit « on fait pas du bon boulot, on travaille pas dans des bonnes conditions ». Et on se dit quand on arrive à user des gens comme ça, c’est triste. Mais ce que je lui disais hier  « mais dans la journée il y a toujours un patient qui fait que ça te redonne le courage  » il me dit « oui c’est vrai ». On en a toujours un ou il va y avoir la connexion va se faire, on va avoir le temps de parler,  il va y avoir un petit échange du positif et puis ça va nous redonner cœur à l’ouvrage en fait toujours un moment hyper positif dans une journée.

Mais il y a des fois, c’est dur moi, je rentre des fois chez moi, je pleure enfin.

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